mardi 21 avril 2020

L'amour des Corbières par Jean-François Gauldrée

Albas est une fête.*


-Aujourd'hui c'est l'été !
 Une fête se prépare dans notre joli village toujours délicatement fleuri, les organisateurs et
bénévoles s'activent alors que les premiers participants du rallye des tacots arrivent, moteurs
vrombissants et chromes rutilants. Ces belles autos surgissent d'une autre époque, la place du
village, parée pour l’occasion, a peine à les contenir.

 Le badaud que je suis, déambule au beau milieu de ces splendides équipages. Je vais de çà de là, observe, découvre avec émerveillement, converse avec les heureux propriétaires. Mon attention est particulièrement retenue par une Citroën des années 20. Son possesseur et sa charmante épouse ont revêtu pour l'occasion des habits de la belle époque. Chapeau haut de forme, redingote, robe à dentelles et ombrelle. Quel beau couple ! Je m’approche d’eux. Les présentations d'usage faites, avec beaucoup de sympathie, Raymonde et Francis me convient à prendre place à bord de la curieuse petite voiture jaune.


Un délicat parfum émane des sièges en moleskine de l'habitacle de la voiture.
- Dites-moi, Raymonde, n'est-ce pas curieux cette odeur de jasmin ?
Raymonde m'avoue, alors, que lorsqu'ils avaient découvert cette voiture oubliée au fond d’ une
grange, ce doux parfum l’avait étonnée...et ravie !
- Je ne suis pas surpris, les Corbières sont un pays bien mystérieux où l’on s’entoure de lumières qui ombrent tout de bleu cru et de gris bleu, nous font rêver.

 Soudain, d’un micro, une voix puissante et joviale, nous invite à rejoindre les équipages pour une balade à bord des véhicules participants. Ce charmant couple m’invite, je ne me fais pas prier, et prends place. Chapeau vissé sur la tête, lunettes de protection et gants de cuir, Francis, notre chauffeur, en un tour de manivelle démarre son engin.
 Et c'est dans les soubresauts de cette mécanique centenaire que nous ouvrons la route.
Telle une locomotive lancée sur les routes sinueuses des Corbières, la petite Citroën jaune chemine fièrement avec son cortège de « wagons » qui se balancent de virage en virage.
Il me semble voyager dans le temps, une autre dimension, et c’est agréable.
Les genêts odorants nous escortent, la garrigue desséchée par le soleil brûlant dégage un fort parfum d'herbes aromatiques, mélange subtil se confondant avec l'essence du pin.
Nos aventuriers motorisés, bras à la portière, s’enivrent de ces puissantes fragrances.
Par cette chaleur, la faune se tient à l'abri, et j'ai une pensée délicate pour notre berger, Virgile, parti en transhumance vers une terre plus hospitalière pour son troupeau durant la période estivale.
 Au chant des cigales, notre convoi poursuit sa route, traverse la vigne accrochée aux cailloux,
pénétrant chaque faille, imprégnant de ceps noirs au feuillage encore tendre la terre ocre.
Quelle magie !

 De retour au village, les joyeux participants sont accueillis par Monsieur Montlaur, notre Maire
qui préside une cérémonie d'ouverture des fêtes de l'été et nous tient un discours de circonstance fort apprécié par l'assemblée.
 Installé confortablement, à l'ombre des platanes, auprès de mes nouveaux amis, parmi les
convives, je me régale, quel repas ! Nous échangeons, notre amour des Corbières et notre intérêt pour certaines célébrités y ayant vécu, tout aussi passionnées que nous.
A ce sujet, Raymonde et Francis m’apprennent qu’ils possèdent, à Leucate, la maison de Caroline, la grand-mère de G-J Arnaud, l’auteur à succès des « Oranges de la Mer » ainsi que « Les moulins à Nuages ». Ils m’ y invitent ! C’est promis, à l’automne j’irai leur rendre visite.

Nous sommes le 7 juillet, le cers fait danser les cimes des cyprès et virevolter les feuilles des
platanes de la place.
Une bien belle manifestation artistique majeure dans les Corbières se prépare, c’est l’Art Caché.
De nombreux artistes de renom, peintres, sculpteurs, plasticiens sont invités durant le week-end à exposer leurs œuvres dans les ruelles, courettes, terrasses ou jardins fleuris de notre village qui livre ses beaux secrets. Malgré une chaleur accablante, une multitude d’esthètes ont la joie de déambuler dans cette galerie à ciel ouvert. Au gré de leur pérégrination, parfois, à leur plus grande surprise, au détour des venelles, des troubadours ambulants captivent leur attention alors que sur la place du village, les bénévoles s’activent dès les premières heures aux fourneaux, afin de combler les nombreux épicuriens. C’est que l’art de la table, importe ici, devient un art de vivre.

Et l’art de vivre !
Nos amis belges le cultivent et aiment le partager. Chaque 21 juillet, Albas l’européenne, se pavoise aux couleurs du royaume. De tout horizon les vacanciers et résidents affluent sur la place pour déguster le traditionnel « boulets- frites » copieusement arrosé de bières artisanales, belges comme il se doit ! Et c’est en musique, au « flonflon » de l’accordéon que l’on valse jusqu’au petit matin. «- Chauffe Marcel, chauffe » comme aurait aimé le dire le célébrissime Jacques Brel.

 Mais l’été à Albas c’est aussi le quatorze juillet dignement fêté. A la cérémonie succède un
apéritif pantagruélique dont les saveurs, l’originalité sont l’œuvre de Martine et Denis. Le soir,
savoureux repas et danse.
Festoyer, danser encore fin juillet, fête officielle du village, et le quinze août. Que dire des multiples concerts de haute tenue qu’abrite notre humble église de campagne, à l’issue desquels on soupe avec les artistes, occasion rêvée de rencontre inoubliable.

Le petit peuple d’Albas ne se lasse jamais de partager la joie de vivre, célébrant l’été…
Alors que la feuille de la treille change de robe pour revêtir celle de l’automne, le vigneron
entend chanter dans son foudre un raisin pétillant, et comme promis, je retrouve à Leucate dans la maison de « Caroline » Raymonde et Francis. Cette maison a su garder l’authenticité de son
charme d’antan et nous évoquons l’inauguration de Leucate plage en 1922. La magie opère, cette maison a une âme, c’est sûr ! j’entends le piano de Camille, le fils musicien de Caroline, lequel animait des croisières en Méditerranée sur le paquebot « La Reine Blanche », comme en
témoignent les multiples cartes postales qu’il lui expédie du Maroc, d’Athènes, du Caire...
Camille aurait rencontré à chaque escale, où qu’elle soit, une belle toujours vêtue de blanc,
parfumée au jasmin. Hélas leur amour était interdit. Le chagrin, la maladie emportèrent Camille.
Au soir de ses funérailles, on vit sur la place du « Brigantin » une dame blanche errer… avant de
disparaître au volant d’une fringante Citroën jaune dans un sillage floral.
 Face au mystère, il en est des sensations comme des parfums qui peuvent rester intemporels.
 Jean-François Gauldrée.

Mis en ligne avec l'aimable autorisation de l'auteur, Jean-François Gauldrée.


*Albas, village remarquable, se trouve au sud-ouest de Narbonne, entre Lagrasse et Durban des Corbières, au pied du Mont Tauch. Ses alentours proposent des paysages tourmentés dont le fameux géosynclinal d'Albas, Des œufs de dinosaures y ont été trouvés, côtoyant de nombreux fossiles.

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