mercredi 8 avril 2020

Jean-François Gauldrée, poète de la transhumance !

ALBAS TOUT EN COULEURS

Albas, village du Languedoc

  Je loue une petite maison au cœur des Corbières à une jolie bergère qui cherche une mine d'or.
Il y fait bon dès l'aurore à regarder le ciel, le soleil se lever et s'enivrer des fragrances nocturnes de la garrigue.
Le café est prêt, une visite s'annonce. Mon amie Nicole tout sourires vient me raconter l'un de ses rêves.
- Ici nous sommes aux portes de l'Eldorado, me dit elle.
Je prends deux tasses et l'invite à s’asseoir.
- Raconte, lui dis-je empressé.
- Alors suis-moi !
Je lui emboîte le pas, la suis dans son imaginaire et découvre que nous sommes ici et ailleurs.
Sur notre parcours, les Corbières s'offrent à moi. Nous suivons un mince filet d'eau qui s'écoule
timidement et emplit des bassins naturels creusés au fil des millénaires.
Nous faisons une halte auprès de l'un d'eux.
Comme il fait bon se poser là !
Sentir le soleil de cette douce journée printanière nous met du baume au cœur. Depuis cet endroit bucolique nous observons avec émerveillement une barre rocheuse.
Notre artiste en profite pour cadrer le lieu afin de mettre en couleurs son Eldorado.
Je rentre dans le tableau, des couleurs d'un rouge pourpre, des nuances diverses tirées d'une palette digne de Cézanne me sautent au visage.
Je suis en plein rêve, elle a raison ! nous sommes dans un pays imaginaire où tout est possible.

  Le Cers se lève. Nous reprenons notre expédition, le pas léger sur un chemin caillouteux
encerclé par les vignes et bordé de genêts et, tels les pénitents, nous arrivons à la croix de fer.
Cet endroit mystique blotti dans une petite vallée est encore imprégné de dévotion et il paraît que
les soirs de pleine lune, on peut observer comme jadis, dans le silence et le recueillement, de lentes et muettes processions.
Tant de cantiques ici se sont élevés, tant de mains jointes ont prié afin d'épargner le village de la
sécheresse et autres malédictions.
Après cette courte pause, respectueusement nous quittons cet endroit et reprenons notre exploration fantasmagorique.
Lentement nous avançons en direction du chemin de crête. Le Cers redouble d'effort et d'effet, ce
chemin pentu et tortueux nous mène aux ruines du vieux moulin à vent. Dans le cours de notre
ascension nous faisons quelques haltes régulières pour admirer le village en contrebas.
A nos pieds, sur cet océan de paysage vierge et sous un ciel bleu azur, un grand duc taillé dans la pierre posé sur son socle, telle une divinité, veille sur le vaisseau amiral Albas.
Enfin nos efforts sont récompensés, nous arrivons au moulin.
Nous décidons de nous installer à l’intérieur pour nous mettre à l’abri du vent. Une petite collation
amenée par les bons soins de mon amie va nous permettre de reprendre des forces.

  Assis sur la meule de pierre grise, grignotant quelques substances, une étrange sensation
m’envahit.
Mon regard fixé sur l'horizon à travers le cadre de la porte, j'ai l'impression d'être une chrysalide
prête à quitter son cocon.
Je prends mon envol, sans drogue, sans alcool. Loin, loin l'esprit du vent me porte loin.

  Des tintements de cloches me ramènent à la « réalité ». Je sors, Nicole me suit et nous
apercevons un berger accompagné de ses chiens avec un troupeau de brebis en marche.
Nous ne l'avions pas entendu arriver !
Je lève la main pour le saluer, il se dirige vers nous tranquillement et nous tend une main franche et amicale. Il émane de ce berger une telle quiétude, une telle sérénité qu'on le croirait sorti d'une
image biblique.
- Bonjour, nous nous croyons seuls, lui dis je.
- Mais nous ne sommes jamais seuls, me répond t-il.
Cette rencontre est inespérée. Combien de berger, combien de brebis ont foulé ce sol depuis la
genèse ?

  Nous avons l'impression de faire un impossible voyage dans le temps. D'ailleurs le temps
n'existe pas puisque nous sommes en plein rêve.
Après avoir échangé quelques mots nous prenons congé de notre berger. En nous éloignant sur le chemin, il se dissipe dans la nature peu à peu le tintement des cloches pastorales.

  - « Nous ne sommes jamais seuls ».
Depuis la crête, devant ce paysage grandiose qui s'étend à perte de vue sous tous les angles et pour celui qui veut bien le voir, le moindre souffle de vie est partout.
  Voir le vent faire danser les genêts, emplir nos poumons de l'odeur puissante du thym et du
romarin, surprendre un couple de perdrix au détour du chemin, observer des traces de gibier, avoir le bonheur de regarder évoluer deux aigles tournoyer à la recherche de leurs proie...

  - « Nous ne sommes jamais seuls ».
Se délecter de voir pousser les iris, jonquilles, orchidées sauvages est un bonheur de tout instant
pour mon amie qui en profite pour sortir sa palette de couleurs.
Nous profitons pleinement de ce moment d’existence, et plus on avance, plus le cœur des Corbières s'offre à nous.

  - « Nous ne sommes jamais seuls ».
Ici peut importe les croyances, la vie a un sens. La ligne d'horizon est pour tous la même si tu as la pureté du regard de l'enfance, le regard bleu de l’insouciance.

  - Allons Jean- François, je suis prête.
 Nicole range ses pinceaux et me sors de mes songes.
  - Suis- moi, en route pour l’Éden.
Nous revenons vers le village par un ancien chemin à flanc de colline qui nous amène directement aux jardins du village.
Je suis émerveillé, ici pas de serpent. Ces jardins ancestraux où coule une eau abondante tirée des puits ont une terre fertile, une terre nourricière encore empreinte du souvenir de nos aïeux qui l'ont travaillée, anoblie.
Nous nous promenons dans ce dédale de murets protecteurs de parcelles où les jardiniers, la main experte, façonnent la corne d'abondance.

  La journée est bien avancée et toujours armés de nos bâtons de pèlerin, nous continuons
notre chemin dans le soleil couchant.
Nous voici au pied d'un mouvement géologique exceptionnel qui nous laisse penser à un dinosaure endormi. Ici s'entrechoquent des strates de rochers et d'argiles qui sous l’effet du soleil fait revêtir à cette dignité impériale sa robe pourpre et ocre.
Aux pieds de ce géant de rocs et de couleurs, coule paisiblement un ruisseau qui autrefois faisait
chanter la pierre d'un vieux moulin à eau.
  Il se fait tard, le crépuscule nous invite à quitter les lieux et nous rejoignons le village.
Je raccompagne mon amie chez elle et la remercie bien de m'avoir fait partager son rêve.
En rentrant chez moi, je passe devant l'église, la lourde porte entrouverte m'invite à franchir le seuil.

  Seul, je suis seul dans cette semi obscurité et je m'assois quelques instant.
Face à moi une tapisserie intemporelle, majestueuse, grandiose, représentant des scènes des
évangiles explose en mille éclats tel un feu d'artifice et illumine tout un pan de l'église. Je me laisse porter par les Toccatas qui résonnent en moi.
C'est sur ces notes de musique que je quitte le Saint lieu et je rentre chez moi exténué après cette belle journée.
  Je m'endors paisiblement sous la voûte étoilée...Il est cinq heures, le réveil sonne et j’émerge
lentement. Rêves ou réalité ? Je ne sais pas, je ne sais plus...
Je descends à la cuisine me préparer un café, j'ai encore de la poussière d'étoiles plein les yeux.
L'aube se lève avec toutes ses promesses, c'est décidé : aujourd’hui je chausse mes souliers de
marche et pars en excursion à la recherche du rêve.

Mis en ligne avec l'aimable autorisation de Jean-François Gauldrée.

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