lundi 29 février 2016

Là-bas, si j'y suis... (Episode 1)

Récit autobiographique d’un apatride


Je suis né le 28 juin 1955, rue de la Vieille Mosquée à ORAN, je vivais avec les espagnols, les français, les juifs, les arabes, les berbères, les harkis, les kabyles...
C'était ce que les technocrates de Paris appellent aujourd'hui le "Vivre Ensemble", et j'étais heureux...
J'étais ce petit garçon à la peau mate, aux boucles noires, un vrai méditerranéen.


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Aujourd'hui, vendredi 22 janvier 2016, un collègue infirmier au CATTP où je travaille en tant qu’art-thérapeute, me dit en arrivant en guise de bonjour : "toujours là, à encombrer !"
Je lui ai répondu : "dans 15 jours, je ne serai plus là, je ne t'encombrerai plus", (je parts à la retraite comme un aveu de défaite).
Ces paroles malveillantes jetées à la figure comme une gifle, m'ont fait me remémorer les souvenirs que je croyais enfouis dans mon inconscient passé.


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En 1962, Gaston Defferre, alors Maire de Marseille, accueille les Français rapatriés d'Algérie en disant : 
"Qu'ils aillent se réadapter ailleurs." (1)
«Halte au péril pied-noir», peut-on lire sur des affiches placardées sur les murs du port. (2)


Les dockers CGT empêchent les femmes, les enfants, les vieillards et les malades qui sont à fond de cale dans de vieux cargos mixtes, dans les vomissures et la puanteur, de débarquer !

Sur le port, à l'été 1962, les dockers, tous encartés CGT, ont ainsi peint sur des banderoles des messages de bienvenue tels que « Pieds noirs, rentrez chez vous » ou « Les pieds noirs à la mer ». Débarquant des milliers de caisses contenant du mobilier et d'autres biens en provenance d'Algérie, les employés du port en dérobent près du quart, et laissent pourrir dans l'eau une bonne partie du reste, détruisant ce qui constitue à leurs yeux une opulence bien mal acquise. (1)


Ils plongent délibérément les cadres en bois à claire voie dans l'eau du port pour que les quelques malheureux et pitoyables effets des pieds noirs soient inutilisables.
Quel accueil sur la terre des champions des Droits de l'Homme !
Vous comprendrez aisément que je n'ai jamais adhéré au Syndicat CGT !

Bien entendu, à notre arrivée, point de cellule médico-psychologique, point de Ministre ou de Président sur le tarmac.

Interrogeant le Général de Gaulle sur cet exode, il déclare :
"Sans l’once d’une compassion : 
« L’intérêt de la France a cessé de se confondre avec celui des pieds noirs », dit froidement le grand Charles, le 4 mai 1962, en Conseil des ministres.

Un autre jour, à Peyrefitte qui lui expose « le spectacle de ces rapatriés hagards, de ces enfants dont les yeux reflètent encore l’épouvante des violences auxquelles ils ont assisté, de ces vieilles personnes qui ont perdu leurs repères, de ces harkis agglomérés sous des tentes, qui restent hébétés… »

Le Général répond sèchement : « N’essayez pas de m’apitoyer ! » Parlant d’Edmond Jouhaud, l’un des généraux putschistes du 13 mai 1958 : « Ce n’est pas un Français comme vous et moi. C’est un pied-noir. » (3)

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Mes parents, ma sœur Jacqueline et moi, nous "atterrissons" à Pierrelatte dans la Drôme. 
Le Maire, nous loge dans l'ancienne école primaire désaffectée. Des français, qui font acte de compassion en voyant la détresse des milliers de familles jetées sur les routes, il y en a eu !

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Toujours montré du doigt, subissant la haine du Parti Communiste et de la CGT, on nous affuble du nom de colons !
"L'hostilité a été amplifiée par une certaine presse et par la propagande communiste, qui les présentent tous comme des «colons»: propriétaires latifundiaires exploitant de pauvres fellahs ou bourgeois nantis dont les Arabes ciraient les chaussures aux terrasses des cafés. En réalité, les trois quarts des Français d'Algérie avaient des revenus inférieurs de 20 % à ceux des métropolitains. Et les riches que le PC brocardait ne représentaient que... 3 % des pieds noirs." (2)

Alors, que ce sont  les français de métropole qui ont colonisé et asservi la population "indigène".

Nous, les espagnols, les italiens, les maltais, les alsaciens, les belges, les grecs, les séfarades... nous n'étions qu'une main d'œuvre bon marché et sous payée, de la chair à canons pour aller nous faire trouer la peau en allant délivrer l'amère patrie !

Que de batailles nous avons gagné dans la douleur et le sang.
Nous, l'Armée d'Afrique, les pieds noirs, les harkis, les tirailleurs algériens, les tabors marocains et les tirailleurs sénégalais ....Monte Casino, le débarquement en Provence, la remontée de la vallée du Rhône, la libération de l'Alsace et de la Lorraine, poursuivant l'armée Nazi sur son sol en Allemagne, et pour finir la libération de Paris avec la 2e DB du Général Leclerc. Oui, c'était nous les pieds noirs, les républicains et les anarchistes espagnols, les bannis, les parias qui avons constitué la 2e DB de Leclerc !!!
Ils ont vu et ils l'ont senti les fascistes, les nazis, que nous savions nous battre pour la liberté !

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Je me rappelle, le dimanche matin, mon père m'amenait au café à 11h, l'heure de la kémia.
Il buvait une anisette en mangeant de la calentica et moi, je buvais un sirop de grenadine.
L'après-midi, ma mère, nous « récurait » des pieds à la tête ma sœur et moi, et nous habillait avec soin pour aller à St Eugène, manger des brochettes et de la merza.

Le bonheur, c'était simple comme bonjour !

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Un soir à Béziers, nous dînions mon épouse et moi chez des amis. Le compagnon de son amie (à mon épouse), me dit : « je me rappelle l'arrivée des pieds noirs à Alès. Nous leur avons construit des HLM, ils sont venus manger le pain des français ».
Ses paroles m'ont sentado como un tiro, j'ai ravalé ma salive et fais bonne figure...
Ne trouvez-vous pas que beaucoup de français tiennent le même discours aujourd'hui à l'encontre des étrangers ?
L'Histoire de répète inlassablement, mais les hommes n'en tirent aucune leçon.

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Non, tu ne nous as pas compris !
Non, les Gaulois ne sont pas nos ancêtres !
Nous sommes issus du métissage des peuples de la méditerranée, des femmes et des hommes libres et fiers de leur travail !
J'ai en horreur ce nom de « pieds noirs » que les français de la métropole nous ont collé à la peau.

"Quelques lignes sur le terme pied-noir. En général, les Français d'Algérie ne l'aiment pas. On leur a collé cette étiquette au moment de l'exode. Ses origines sont contestées. Les uns affirment que le mot remonte aux soldats français débarqués en 1830 qui portaient des guêtres noires. Les autres pensent que le sobriquet vient des colons viticulteurs qui écrasaient le raisin en le piétinant et sortaient du pressoir les pieds noircis par le jus. Quelle que soit son étymologie, l'expression va s'imposer en France et éclipser les autres." (2)

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La terre de France, c'est autant notre terre qu'elle est  vôtre terre à vous français de souche !
Ma vie est un combat, et je le continue ce combat, pour défendre toutes les libertés, pour en finir avec le rejet, la différence, l'exclusion, le racisme, la xénophobie, le nationalisme, les régionalismes, le fascisme...

Non, je ne t'encombre pas, je suis français, je suis espagnol, je suis algérien, je suis citoyen du monde.
Je continuerai de t'encombrer cher collègue, car ma vie est vouée toute entière à la créativité et à la culture, tu ne pourras pas censurée ma vie.

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RÉSISTER, C'EST CREER. 
CREER, C'EST RESISTER 

Stefane HESSEL


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Je suis à nouveau sur la route, je n'ai pas de pays, je suis citoyen du monde...
Jean-Louis AGUILAR-ANTON / Art' Blogueur
Réfugiés de tous les pays, unissez-vous !

SOURCES :
(1) "Marseille, 1962 : le cauchemard des rapatriés d'Algérie" par L'OBS, publié le 06/07/2012
(2) "Les pieds noirs, 50 ans après" par Jean-Marc Gonin dans Le Figaro.fr, publié le 08/02/2012
(3) "Le drame des Pieds noirs" dans Atlantico, publié le 09/04/ 2012

1 commentaire:

  1. Oui Jean-Louis, nous sommes les héritiers d'une tradition multi-culturelle qui résiste aussi en Algérie où je me rends souvent.
    Pascale, née En 1959 à Oran, qui était trop petite pour se souvenir de la calentica, mais c'était le délice de ma mère ;-))

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