mardi 2 février 2016

Jean-Pierre Siméon, "Stabat Mater Furiosa", écrit en 1997 au Liban.


Je regrette bien de ne pas pouvoir assister à la prochaine rencontre de l'ARAT... Partager autour de Niki de St Phalle, Gérard Garouste...Hildegard von Bingen...  Beau programme!


À propos de partage....  voici ce "songe" . Il est un peu comme une prière.
C'est extrait du long poème de Jean-Pierre Siméon, "Stabat Mater Furiosa", écrit en 1997 au Liban.

C'est une femme qui s'adresse à "l'homme de guerre"

Le début du poème commence ainsi:

"Je suis celle qui refuse de comprendre
je suis celle qui ne veut pas comprendre  [...]

Ensuite, pendant de longues pages, au travers de la parole de cette femme, tout est dit de la guerre, tout, jusqu'à l'insoutenable...
Il y a sa colère aussi, la colère de cette femme universelle... qui se tient debout:  Elle dit face à "l'homme de guerre" :

"Je n'use que de ma voix, si proche du silence 
et qui n'a que l'obstination fragile du coquelicot."  

Puis la toute fin du poème arrive, 
et "le songe" avec lui, 
comme une respiration, une prière, 
quelque chose de grand, qui me bouleverse à chaque fois:

" Je suis venue dire un songe
naïf et frêle comme les songes
car le songe nourrit la joue des hommes
mieux que le grain du raisin, 
et il n'est pas de raisin dans l'hiver...

J'ai fait un songe:
c'était... 
oui! 
c'était dans la paix fraîche d'un matin,
et soudain, à l'heure non dite,
d'un même mouvement, l'armée des faibles s'est levée:
sur les routes, dans les rues de nos villes, sur les pistes du désert,
au bord des fleuves millénaires, 
face à l'ombre énorme des montagnes,
des millions se sont levés:

affamés, vieillards, éclopés, vagabonds, enfants, malades, malingres, mutilés, souffreteux,
des hommes forts aussi... oh, mais pas des forts à votre manière...
Des hommes plus effarouchés que la jonquille
et qui cachaient leur grosse voix dans des chansons de vieilles.
Des millions de choses humaines nues et légères se pressaient sur les routes,
comme soudain issues des pierres, des arbres, des vagues, des caves, des trous de rats,
des foules silencieuses et verticales
sans rites et sans appartenance,
le front levé, l’œil immobile, fixant le jour.

Rien d'autre savez-vous dans mon songe, que l'innombrable peuple des faibles, des écartelés, 
debout, 
muet.

Dans la demeure splendide du paysage, 
un vent de silence courait sur le monde.

Je ne sais rien d'autre, 
sinon qu'il n'y avait ni hommes ni fils de guerre,
ni chefs de guerre,
ni Dieu, ni prophète,
pas même l'épée de feu des archanges...

Rien que des millions de choses humaines légères et nues,
debout,
sur tous les horizons du monde.

Le songe est dit,

c 'est l'obstination du cerisier qui fait déborder la lumière.

Et voici ma prière furieuse,
dans la sueur du soir
dispersée "

Mes vœux sont là, dans ce "songe"

Très bon week-end à vous tous

Cécile Poinsignon

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