lundi 18 mai 2020

VERS LA MAISON JAUNE par Christian Alle

VERS LA MAISON JAUNE



Fin de matinée du 20 février 1888, Vincent glisse sous la faible clarté de cette froide journée. Sur la plaine, au loin, au-dessous des nuages, des corbeaux égarés errent, affamés de lumière et de charognes. L’homme avance d’un pas chaloupé de marin qu’il n’est pas. Ses godillots mal ferrés, humides et souillés de peinture claquent sur le chemin désert et silencieux. Il avance rapidement et sa silhouette légèrement voûtée se profile devant un chiche décor d’arbres dénudés. Il est modestement vêtu d’une veste de velours noir et d’un pantalon de drap déchiré au genou. Son visage est caché par un curieux chapeau de paille hors saison. Il fume une vieille pipe en bruyère au tuyau faiblement recourbé.

Petit à petit les ruelles apparaissent, bordées de discrètes chaumières. Vincent est inquiet : Ce nouveau lieu va t-il l’inspirer ? Ses paysages seront-ils propices à la création ? « -Ah ! Vanité des vanités ! » Crache l’homme en hollandais… Surgissant de nulle part, un chien jaillit, roux, hirsute, méchant, Vincent agite son chapeau, brandit sa canne. Le roquet s’enfuit en aboyant. La vie est absurde et désobligeante observe le chemineau, les rues sont si belles pourtant et les paysages entrevus au-delà des ruelles, bien qu’enneigés aujourd’hui, promettent tant de beautés à peindre. « Pays dont j’ai tant rêvé au temps des mangeurs de pomme de terre », se dit l’artiste qui continue d’avancer.

Tandis que le soleil insiste à bouder, la rue de la Cavalerie se révèle enfin. C’est au 30, se rappelle Vincent, un hôtel-restaurant, chez Carrel. Le quartier des maisons closes d’Arles est bien triste et sur le pavé peint de neige sale personne n’attend le client. « Trop tôt ! » raisonne le peintre en actionnant le heurtoir d’une porte qui fût neuve au temps jadis. Bien vite un homme se montre, souriant. Vincent le reconnais, c’est bien son ami Christian Vilhelm Mourier-Petersen, l’artiste peintre Danois. Il est vêtu d’une blouse de bouvier bleue et d’un pantalon de velours marron, il a un mouchoir rouge noué autour de son cou et des bottines en cuir aux pieds. Il tend à Vincent une main maculée de tâches de peinture où le rouge et le jaune dominent.

« Salut Van Gogh, dit l’homme, je t’attendais. »

Oeuvre et narration : Christian Alle

Mis en ligne avec l'aimable autorisation de l'auteur

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