dimanche 15 novembre 2015

Un “Dictionnaire de la photographie” pour y voir plus clair

par Joséphine Bindé / Mis à jour le 12/11/2015 à 16h15.

Spécialiste de l'histoire de la photographie, Nathalie Herschdorfer publie un ouvrage conçu pour répondre aux interrogations des amateurs de photo. A l'occasion du Paris Photo 2015, elle a répondu aux questions de “Télérama”.

                                 Jan Saudek /  The slavic girl with her father 1998

Couverture brillante, trois cents illustrations sur papier luxueux : ce nouveau Dictionnaire de la photographie, publié le 12 novembre aux Editions de La Martinière, se déguste comme un beau livre. Pendant plus de dix ans, cent cinquante experts ont planché sur le projet, sous la houlette de Nathalie Herschdorfer. Directrice du musée des beaux-arts de Locle en Suisse, cette historienne de l’art spécialisée en photographie a organisé de nombreuses expositions dont « Faire face : la mort du portrait ». Photographes, procédés, genres : de A à Z, elle revient sur le passé de la photo, histoire, à l’ère du numérique, de ne pas oublier l’essentiel.

Pourquoi publier un dictionnaire de la photographie, sachant qu’il en existe déjà plusieurs ?

Il existe beaucoup de livres qui couvrent l’histoire de la photographie, mais très peu de dictionnaires. Pour moi, il y a surtout le Larousse [Dictionnaire mondial de la photographie, des origines à nos jours, ndlr], édité en 1996. Suite à sa parution, j’ai discuté avec un éditeur anglais qui m’a dit que cet ouvrage n’avait pas vraiment d’équivalent en langue anglaise.
C’est à ce moment-là que j’ai décidé de faire ce livre, d’abord en anglais chez Thames and Hudson, puis en français aux Editions de La Martinière. Le projet, qui a débuté en 1998, a été mis de côté puis relancé en 2010. L’idée de repenser l’histoire de la photographie, de faire ce travail de sélection des noms, des procédés, des mouvements, était très intéressante pour moi.

                                            Frank Eugène / Adam and Eve 1910

 Aujourd’hui, face aux ressources illimitées d’Internet, publier un dictionnaire imprimé est un vrai défi. En photographie, avons-nous besoin de retrouver ce rapport à l’objet (que ce soit le tirage, l’album ou le livre) ?

Dans les années 90, on a eu très peur : avec le développement d’Internet, on parlait de la mort de la photographie. J’avoue avoir eu un doute sur le fait de sortir un ouvrage papier. Mais au début des années 2000, un marché s’est mis en place, avec notamment le succès de Paris Photo. Aujourd’hui, on s’aperçoit que les livres de photo se vendent bien : on est tellement sur nos écrans qu’on a envie de retrouver le plaisir de l’objet.
Notre projet s’est donc transformé en réaction au numérique : ce qui devait être un petit ouvrage de poche est devenu un gros dictionnaire de quatre cent cinquante pages, avec trois cents illustrations, qui permet de se promener d’une autre manière que sur Internet. Face à ce contenu illimité à portée de clic, on a dû faire le tri : pour chaque entrée, il fallait fournir une information qui soit la plus courte et surtout la plus précise et « scientifique » possible, vérifiée par des chercheurs. Ensuite, le lecteur peut toujours approfondir un point en cherchant sur Internet.

 
                            Zwelethu Mthethwa / Untitled tiré de la série Interior 2000

 Quelle place a la photographie en tant qu’art dans cette profusion d’images ? Ce dictionnaire exprime-t-il le besoin de revenir aux fondamentaux ?
 
Internet et Instagram sont des outils extraordinaires. Mais au quotidien, on est submergés, parfois même agressés, par ce flot d’images. Les photographes professionnels nous apportent quelque chose en plus, une réflexion, une volonté de nous faire réagir. Ils doivent nous aider à mieux lire et absorber toutes ces images. Avec le numérique, ces dernières disparaissent aussi vite qu’elles apparaissent. Mais certaines restent en nous, nous habitent et influencent notre manière de penser la photographie.
En 2015, à l’ère du selfie, il est important de rappeler et de préserver cette histoire, en reprenant les images du passé. Et aussi de mettre de l’ordre dans ce qui nous entoure. Pour ce dictionnaire, il fallait se limiter à mille deux cents notices, ce qui nous a obligés à réfléchir : que faut-il garder ? Qui, par sa vision, a construit, influencé les photographes d’aujourd’hui ?

                       Jack Delano / At the bus station in Durham, North Carolina 1940

Alors même qu’on baigne dans les images, on parle d’une crise de la photographie. Quels sont les enjeux de la photo aujourd’hui et comment voyez-vous son avenir ?

Aujourd’hui, on pourrait croire qu’on n’a plus besoin de professionnels, puisque, lors d’un tsunami par exemple, tout le monde poste sa photo. Les photographes doivent se positionner par rapport à ces images, réfléchir à ce qu’ils nous apportent, affirmer un tirage, penser une exposition, un accrochage… Vivre de la photographie reste difficile pour beaucoup d’entre eux. Mais en affirmant un regard qui sort du lot, ils demeurent indispensables.
Ce que j’attends de la photographie, c’est qu’elle donne du sens. Je pense vraiment que les photographes peuvent nous aider à mieux digérer toutes ces images qui nous entourent. Mon souci, dans ce monde virtuel, c’est aussi que les images qui le méritent soient préservées en tant qu’objets et transmises aux générations futures. Tous les jours, j’apprends avec la photographie, et je crois en son avenir.
http://ebx.sh/1PE3PVO

A lire
Le Dictionnaire de la photographie, sous la direction de Nathalie Herschdorfer, Editions de La Martinière, 202 x 307 cm, 448 pages, 75 €.

Autres ouvrages de Nathalie Herschdorfer :
Papier glacé : un siècle de photographie chez Condé Nast (Thames and Hudson, 2012)
Jours d’après : quand les photographes reviennent sur les lieux du drame (Thames & Hudson, 2011)
Construire l’image : Le Corbusier et la photographie (Textuel, 2012)
reGeneration : photographes de demain, I et II (co-écrits avec William A.Ewing, Thames & Hudson, 2005 et 2010)

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