par Chantal RAJIC
Une photo comme un poème de Rimbaud
La photo de cet enfant
retrouvé sur une plage de Bodrum s’ajoute à celle de cette jeune Afghane aux
yeux verts après un bombardement où elle vient de perdre ses parents, à celle
de cette fillette agonisant dans la boue durant 3 jours et 3 nuits après une
éruption volcanique en Colombie, à celle de cette fillette courant nue brûlée
au napalm et la liste est longue de ces images qui défilent à présent sur nos
écrans de plus en plus rapidement au rythme des conflits, guerres, catastrophes
naturelles, changements climatiques ou géopolitiques.
Ces photos nous parlent de
souffrance, de solitude, de mort, d’absence, de perte comme si l’humanité
venait crier pour nous alerter.
La photo de ce petit garçon, au-delà
du symbole de la mer (mère) qui dépose son corps à nos pieds ou qui le rejette
fait écho à nos parts d’ombre et de lumière et c’est bien la terre mère qui
rejette et dépose nos folies meurtrières.
C’est une plage turque où chante la mer
Où le soleil brille
Aux charmes
touristiques
Un enfant jeune, face contre terre, tête nue
Et le front baignant dans l’écume salée,
Dort.
Il est étendu dans le sable mouillé
Pâle dans son lit ocre de la lumière crue
Le bruit des vagues ne le réveille pas,
Il dort profondément comme dormirait un enfant malade :
Il fait un somme
Nature, berce- le chaudement : il a froid
Le bruit des vagues ne le réveille pas,
Il dort sous le soleil, la main sur le sol
Tranquille, il n’a plus de souffle pour cette vie-là.
Cette photo au goût amer
pourrait s’intituler « le dormeur de la mer » comme si le poème de
Rimbaud venait se superposer à nos émotions passées, comme si le mutisme de la
photo parlait avec les mots de Rimbaud.
Ce n’est pas un soldat jeune,
c’est un enfant dont l’innocence troue nos consciences.
Une photo comme un poème
rassemble, laisse une trace dans nos souvenirs.
Une histoire qui rassemble,
une histoire qui ressemble…
De 1870 à 2015 : Et nous, 145 ans après
qu’avons-nous fait ? Que faisons-nous aujourd’hui pour que son sommeil
nous réveille ?
Parce que cet enfant, c’est
aussi notre enfant intérieur abandonné sur une plage, la plage de notre enfance
là où notre raison d’adulte a fait échouer notre enfant créateur et passeur de
lumière.